
Pour les plus anciens, hommage à Eddie Constantine. Même si la chanson parait être en forme de clin d’œil… elle se termine par « nous ferons tous crever ». Alors où en sommes-nous dans le regard de la médecine sur les addictions ?
Nulle part ! Vous avez bien lu, nulle part. Dans un rapport aux soins uniquement basé sur la chimie rien ne peux aider durablement un patient alcoolique, héroïnomane, addict aux jeux ou au sexe. Côté psy les résultats ne sont guère meilleurs.
Mais enfin ! Ce n’est qu’une question de volonté, n’est-ce pas ? Il faut s’accrocher, il faut prendre soin de soi…etc. Toujours ce fameux daimõn do. Le démon du « il faut », « on doit ». Certes mais !
J’ai côtoyé l’alcoolisme dans ma famille proche et suis profondément touchée par toute cette jeune génération qui ne peut envisager de passer une soirée sans… « Se lâcher ». Lâcher quoi, oublier quoi, se sentir comme ?
Les addictions à l’opium, à l’alcool et au tabac ne datent pas d’hier. Les années Woodstock ont déculpabilisé l’usage du cannabis et autres substances dans ma génération. Et les choses n’ont fait que croître et embellir. Et bien entendu comme il fallait vendre des médicaments, comme nous sommes dans la doxa du tout mécaniste, les addictions sont devenues maladies.
Comme pour beaucoup de « maladies » les médecins et les hautes instances en charge de la santé publique ont pris le taureau par les cornes en culpabilisant et punissant depuis des années. Les choses ont-elles évolué ? Bien peu. Sauf par rapport au tabac, les vilains fumeurs étant accusés de rendre les autres malades (tabagisme passif) et surtout l’État trouvant dans l’augmentation des taxes des revenus fort substantiels. Je ne ferais pas de commentaires sur les « drogues illégales » comme la coke par exemple, il est de notoriété publique que beaucoup de nos « grands chefs » se remplissent les narines (bien avant les fameux tests) et que surtout l’argent de la drogue est bien trop important pour se risquer vraiment à arrêter le marché.
Comme toujours en santé publique (et en santé tout court) aucun recul, aucune prise en compte réelle du problème. Vous m’objecterez que les campagnes de prévention, qui coutent d’ailleurs très cher, ont essayé de nous rendre « raisonnables ». Les slogans sont aussi percutants qu’inutiles. Les fameux boire ou conduire il faut choisir ou encore un verre ça va 3 verres bonjour les dégâts. Comme toujours la prévention est avant tout répression, un képi à l’horizon est certainement plus dissuasif que les grandes affiches qui enlaidissent les bords de nos routes. Le mot prévention vient du latin praevenire (prévenir) et puisqu’un homme (ou une femme) averti en vaut deux comment expliquer les addictions. Prévenir comme « je te préviens, si… tu verras de quel bois je me chauffe…!?
Pourquoi certain(e)s d’entre nous ont-ils (elles) besoin de se griller les neurones ? Les neurosciences ont démontré que les addictions et/ou dépendances activaient le circuit de la récompense. Un réflexe pavlovien. Un p’tit verre et voilà que nous activons la libération de dopamine, le plaisir qui s’ensuit nous invite à … recommencer. Il n’est pas utile ici de développer plus avant les explications neurophysiologiques mais bien plutôt de d’interroger sur un certain nombre d’incohérences (et le mot est faible).
Première incohérence : les deux substances en tête de liste sont toutes deux parfaitement légales, tabac et alcool. Non seulement légales mais, pour l’alcool, la signature d’un « art de vivre à la française ».
Deuxième incohérence : l’état français, toujours « bienveillant » envers ses administrés en profite largement. Puisque c’est si mauvais pourrait-on imaginer de porter plainte pour mise en danger de la vie d’autrui ? La loi nous dit très clairement dans l’Article 121-3 du code pénal :
Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.
Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui.
Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.
Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer.
Il n’y a point de contravention en cas de force majeure. »
Et bien sur « l’obligation » enfreinte doit nécessairement être une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou par un règlement.
Je vais certainement être taxée de « mauvaise foi » mais je ne peux pas m’empêcher de penser que les différentes lois imposants des restrictions à la consommation de tabac ou d’alcool n’ont aucun lien avec la volonté de supprimer leurs consommations mais bien plutôt de protéger nos représentants de condamnations pourtant parfaitement justifiées.
Les tenants de « la liberté à tout prix » se dressent face à ce qui pourrait passer pour un excès de totalitarisme de ma part. Rasseyez-vous s’il vous plaît, je n’ai aucunement l’intention de réduire votre liberté de quelque façon que ce soit. Buvez, dansez, embrassez qui vous voudrez ! Mon seul objectif est de mettre en évidence le paradoxe permanent des soins actuels. L’alcoolisme, le tabagisme et autres addictions (y compris sexe, argent, travail et jeux) sont devenus peu à peu des maladies.
Alors au risque de vous choquer, nous sommes tous « malades ». À la manière du bon docteur Knock nous pouvons attester que « les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent » ou encore. » Car leur tort, c’est de dormir dans une sécurité trompeuse, dont les réveille trop tard le coup de foudre de la maladie « Et dans le cas des dépendances pratiquement tout le monde est dépendant de quelqu’un et/ou de quelque chose. Car nous pouvons expliquer la neurophysiologie de la dépendance mais quelle en est la cause ?
Cela n’a rien à voir avec une maladie… peut-être avec du mal à dire ses souffrances, ses difficultés, ses limitations.
Pendant l’écriture de ce chapitre, j’ai lu ce que je pense être un livre majeur dans la compréhension de l’accompagnement des traumatismes : Le corps n’oublie rien : le cerveau, le corps et l’esprit dans la guérison du traumatisme de Bessel van der Kolk chez Albin Michel. Quel est le lien entre trauma et addictions ?
Nous avons toutes et tous vécu des expériences traumatiques. Bien entendu la nature des traumas est différente en termes de « gravité » mais leurs impacts sur la personne ne peuvent être « jugés » de l’extérieur.
Or c’est l’impact qui va générer les manifestations psycho-émotionnelles et neurophysiologiques. Une des façons de lire les résultats d’un trauma est de comprendre que la personne va mettre en jeu des mécanismes de protection afin de pouvoir survivre. Un de ces mécanismes est la création de « personnages » qui vont développer des comportements plus ou moins cohérents afin de pouvoir continuer sa vie[1]. Parmi ces personnages, il en est un (ou plusieurs) qui nous intéresse : l’addict. Si vous voulez plus de proximité et en fonction de la nature de votre addiction il pourrait s’agir de Barney (dans les Simpson) ou Tyrion Lannister (dans Game of Thrones) ou de tout autre petit nom affectueux que vous voulez. J’ai bien dit affectueux car ce personnage boulimique, alcoolique, tabagique, addict aux médicaments, work-alcoholic ou sex-addict ou fumeur de joints… ou tout à la fois, est une facette majeure de votre résistance au stress engendré par vos traumas. Il n’est donc pas question de nous servir encore et encore la vieille histoire de la volonté ou des gènes de Papa pour nous démontrer que nous sommes malades. Par contre il est évident que ces conduites addictives peuvent nous rendre malades à cause des effets délétères indésirables des substances.
Peut-être aurez-vous remarqué que je n’utilise pas le terme accro, substantif trivial et jugeant. Les personnes et leurs personnalités ne sont pas accro à leur « drogues », elles ne savent tout simplement pas comment se « faire du doux » face aux retombées de leur(s) traumatisme(s), comment calmer le système sympathique en extrême vigilance pour relancer le parasympathique.
Il est donc maintenant parfaitement clair que l’addiction, quelle qu’elle soit, n’est pas une maladie mais une tentative maladroite de se donner de la réassurance, de la douceur… de l’amour.
Plus encore, avec ce vide immense laissé par l’horizontalisation de toute notre vie. Plus de sacré, plus de rituels ou tellement vidés de leur substance qu’il n’en reste que des squelettes. Plus d’en-vie ou l’envie de tout. De quoi ou de qui avons-nous tant besoin de dé-pendre ? À qui ou à quoi sommes-nous sus-pendus ? Quelle corde nous enserre-t-elle jour après jour pour que certains deviennent des meurtriers et/ou des zombies, pour que perdions tout sens de la mesure, du soin de soi, toute respiration ?
Tout à fait « par hasard » j’ai lu un article sur le site de France Culture, intitulé La tradition perdue du sommeil coupé en deux. [2] Mais que vient faire cette histoire dans un chapitre sur les addictions ?
Tout d’abord la personne qui a fait cette curieuse découverte, historien de son état et ne connaissant rien en neurophysiologie, démontre s’il en était encore besoin à quel point la fin du XIXème et le XXème se sont donnés comme « mission » de tout pathologiser. En effet la folie des normes exige que nous dormions 8 heures par nuit. Ce qui bien sur profite largement aux vendeurs de drogues légales. J’oserai vous rappeler que la France est le premier consommateur d’anxiolytique et autres tranquillisants. Pourtant durant des millénaires, le sommeil était coupé en deux et personne ne trouvait à redire de se lever en milieu de nuit pour raviver le feu, s’occuper des bêtes etc. Et chacune et chacun de se rendormir gentiment jusqu’au matin. L’ère industrielle a tout changé avec un rapport au temps rigide et l’arrivée de la fée électricité qui a bouleversé les rythmes circadiens. Nous pouvons nous jouer de l’obscurité et continuer à travailler ou nous divertir.
Par curiosité devant cette découverte inattendue je suis allée regarder la 4ème de couverture de l’ouvrage de Roger Ekirch, la Grande Transformation du sommeil. Voici ce qui clôture la présentation : Surtout, cette découverte invite à questionner l’identification de l’insomnie de milieu de nuit à un « trouble du sommeil ». Et à envisager les conséquences d’une transformation qui nous a barré un accès privilégié aux rêves et, par-là, à la conscience de soi.[3]
Rien que cela, un obstacle à la conscience de soi. Ce sont alors les écrits de Michel Terestchenko qui me sont revenus en mémoire et particulièrement : Un si fragile vernis d’humanité : banalité du mal, banalité du bien, dans lequel la différence entre un bourreau et un juste est la notion de présence à soi.
Mon propos n’étant pas de résumer ces ouvrages mais de mettre en évidence l’impossible prévention face à une société qui, par une pathologisation extrême de tous les comportements déviants revient à dépouiller l’être humain de sa conscience et de sa présence à soi. Nous retrouvons là les ressorts bien connus de la soumission à l’autorité.
Quand je discutais avec les membres de ma famille dépendants de l’alcool ce qui ressortait toujours n’était pas une négation de l’impact délétère de ces addictions mais l’affirmation étonnante « d’une ultime liberté ». C’est la seule liberté qui me reste!, concluaient-ils (elles).
Le paradoxe est terrible, prendre le risque d’atteindre à sa santé par « ultime liberté ». Quelle triste société que celle qui ne laisse plus d’autre choix que celui de s’embrouiller les neurones pour échapper à trop de contraintes, pour fuir l’impossible contrôle du temps, la dilution des liens, l’effacement de la Présence à plus grand que soi, à soi et à l’autre.
Nous trouvons là, je pense, la racine même de l’échec des campagnes de prévention quelles qu’elles soient. L’hyper normalisation de notre société industrielle ne peut qu’engendrer une sorte de réflexe d’échappement qui, pour moi, n’a strictement rien à voir avec la maladie. À moins que comme dans les sociétés les plus totalitaires de ces derniers siècles, tout ce qui sort de la norme est à « enfermer ».
Pourtant l’ivresse n’est pas nouvelle. Certes alors peut-être faudrait-il repenser totalement notre rapport à l’en-vie. Nous revenons à la Source : être en vie, c’est être en amour. En amour dans le sens agape, que le latin traduit par caritas à l’origine du mot charité.
Nous sommes donc devant un défi majeur de notre société qui pour l’instant se refuse à regarder en face que les dépendances ne sont que les reflets de notre incapacité d’être en conscience et en présence. Toutes les campagnes de prévention seront inutiles et inefficaces tant qu’elles seront basées sur la peur et la répression plutôt que sur l’amour. Le bien que « nous veulent » les états (et à fortiori les gens qui nous aiment) ne fait que renforcer les contraintes, le sentiment de n’être pas « normaux » et donc paradoxalement le besoin de liberté.
[1] IFS modèle développé par Richard Schwartz. En France : https://ifs-association.com/
[2]https://www.franceculture.fr/histoire/dormir-en-deux-fois-dans-la-nuit-la-tradition-perdue-du-sommeil biphasique
[3] http://www.editionsamsterdam.fr/la-grande-transformation-du-sommeil/