Depuis plusieurs années le politiquement correct s’efforce de trouver les termes adéquats pour nommer la relation entre les personnes malades et les personnels soignants.
Le sacro-saint vocable de « patient » ne convient plus aux malades et à juste raison. Étymologiquement relié à pâtir, souffrir et qui plus est sans se plaindre et avec patience, ce mot hérité d’une vision rédemptrice (réductrice) des temps anciens et de la toute-puissance médicale ne peut et ne doit plus être utilisé.
Alors nous voilà maintenant avec les termes de clients et d’usagers… la relation entre malades et soignants serait donc maintenant strictement commerciale. Les forums d’échanges entre malades mettent à mal les relations entre soignants et soignés. Le manque d’écoute, l’infantilisation, parfois la malhonnêteté intellectuelle et/ou financière aboutissent à un bras de fer détruisant la confiance et parfois à des conflits déclarés : « Je te paye pour tes compétences et tu as intérêt à me remettre sur pied rapidement sinon je porte plainte ».
Quant au terme d’usagers de la santé cette expression ne veut rien dire. Il peut être usager de la SNCF mais usager de la santé de qui se moque-t-on ? La santé n’est en aucun cas un objet quantifiable, qualifiable. Pour preuve, la définition de l’OMS qui reste bien vague. La perception de la santé est totalement subjective. Alors comment en définir son « usage » ? Est-ce que nous somme de bons usagers si nous vivons vieux, si nous suivons toutes les « recommandations »…bref si nous sommes de gentils robots parfaitement programmés ?
Les soins seraient-ils donc des marchandises ? Plus facile d’en évaluer la qualité certes mais que devient l’impact de la dimension relationnelle dans le fait que l’usager fait « bon usage », ou pas, des soins qui lui sont donnés ?
Dans une société du « toujours urgent », « toujours plus vite » les malades doivent « être guéris » dans l’instant. Mais les soignants trouvent aussi une forme de reconnaissance quand ils se prennent pour Dr Mamour de la trop célèbre série Urgences. Serions-nous obligés, à l’instar de sites de ventes en ligne, de « livrer » en 24 h ?
Les malades viennent faire leur marché chez le médecin qui devient de fait un prescripteur. Et comme tout est dans les bases de données, que les protocoles deviennent paroles d’évangile, les diagnostics se font sur papier : liste d’analyse et d’examens complémentaires en fonction des symptômes. Les robots et ordinateurs font ça tout seuls. Et en plus le client est roi n’est-ce pas ? Ubu Roi certainement !
Vous vous dites à ce moment de votre lecture que tout cela est peut-être vrai mais que faire alors ?
Simplement réaliser que nous sommes des sujets en relation. Que la relation est la base du soin. Et dans toute relation chaque interlocuteur a 50% de la responsabilité. Il est habituel de dire que le patient est en fragilité et que donc il n’a pas le même impact que le soignant. Il est évident que le patient vient vers nous avec ses fragilités mais il ne s’agit pas seulement de « sa » maladie. Peut-être est-il en difficulté dans son couple, avec ses enfants, au travail. Il a sa personnalité, son vécu. Bref il n’est ni fort ni fragile, simplement humain. Et surtout, il a déjà vécu d’autres épreuves avec lesquelles il a dû composer.
Malheureusement les soignants ne sont pas formés à l’aider à formuler sa demande. Le malade vient avec une plainte et nous réagissons en bons petits soldats pour le soulager. À aucun moment nous n’avons pris le temps de lui demander ce qu’il veut que nous fassions pour lui. Nous signons ensemble un contrat implicite : j’ai une maladie, j’ai mal ! Pas de problème, je sais ce qu’il faut faire pour toi.
Pourrions-nous apprendre enfin à faire avec les personnes malades et pas à leur place ou pour elles ?
Voilà ce qui changera tout à la fois les relations entre les personnels soignants (quelque que soient leurs fonctions) et les malades, et la compliance aux traitements ainsi que la bonne réception des messages de prévention.
Nous avons besoin de partenaires pour exercer nos métiers. Donc de personnes en capacité de prendre leurs responsabilités dans le soin. Et peu importe les capacités intellectuelles ou motrices de la personne que nous soignons. C’est notre regard sur lui ou elle, notre confiance en ses ressources propres qui permettront un soin de qualité.
Alors partenaires ou patients ? À nous, vous de choisir.